Impôts et prestations: quels effets attendre d’une « année blanche »?
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Les discussions autour de l’élaboration du budget de la France pour 2026 font naitre nombres de propositions1. Parmi les pistes « non écartées » par le gouvernement, celle de « l’année blanche » ou du « gel budgétaire ». L’idée ? Reconduire en 2026 les montants de l’ensemble des prestations sociales indexées (minima sociaux, prestation familiales, allocations logement, pensions de retraites, allocations chômage) à leur valeur de 2025.
1 A plus court terme, le gouvernement s’est engagé à présenter un plan de 40 milliards d’euros d’économies d’ici la mi-juillet.
Usuellement, afin de compenser les pertes passées de pouvoir d’achat des prestations sociales:
Les pensions de retraites sont normalement revalorisées le 1er janvier de l’année N sur la base de l’évolution de l’indice des prix à la consommation (hors tabac) observé entre décembre N-2 à novembre N-1. Selon nos prévisions, la revalorisation « usuelle » s’établirait à de 1,1% en janvier 2026.
Les minima sociaux et les prestations familiales sont revalorisées au 1 avril de l’année N sur la base de l’évolution de l’indice des prix à la consommation (hors tabac) observé entre février de l’année N-1 et janvier de l’année N. Selon nos prévisions, la revalorisation « usuelle » s’établirait à de 1,3% en avril 2026.
Les allocations logement sont revalorisé le 1er octobre de l’année N à partir de l’évolution de l’indice de référence des loyers entre le 2ème trimestre de l’année N-1 et sa valeur à l’année N. Selon nos prévisions, la revalorisation « usuelle » s’établirait à de 1,3% en octobre 2026.
Enfin, les allocations chromage sont généralement revalorisées le 1er juillet. Pour celles ci il n’existe pas de formule automatique de revalorisation, celle ci résultant d’un vote du conseil d’administration de France Travail2.
2 Les allocations chômage ont ainsi été revalorisée de 0,5% au 1er juillet 2025.
Outre le gel des prestations sociales, figure également la piste d’un gel du barème de l’impôt sur le revenu. Là encore, il est courant que les tranches de revenus du barème progressif de l’impôt sur le revenu (et ses autres paramètres) soient revalorisées de l’inflation mesurée l’année précédente afin de ne pas accroitre les impôts (en euros constants) des ménages dont les revenus ont progressé dans la même proportion.
Pour mieux appréhender les effets budgétaires et redistributifs de ces mesures, nous mobilisons le modèle de micro-simulation Ines, développé conjointement par l’Insee, la Drees et la Cnaf, et dont la dernière version, largement refondée, simule la législation socio fiscale en vigueur en 2023.
Nous comparons pour chaque ménage, son revenu disponible, auquel on applique la législation 2023, à un contrefactuel dans lequel les prestations sociales et le barème de l’impôt sur le revenu sont réduits par l’effet de l’année blanche. A titre illustratif cette baisse simulée est de 1,1% pour pensions de retraites soit une baisse équivalente à ce que devrait être l’augmentation des pensions au 1er janvier 20263.
3 Notre analyse est réalisée « toutes choses égales » par ailleurs. D’une part la population et sa structure (par âge, par statut vis à vis de l’emploi, par statut d’occupation) n’est pas modifié (i.e l’année blanche est simulée sur les retraités ou les chômeurs de 2023 et non de 2026). D’autre part, nous ne mesurons pas les effets induits de la mesure (réaffectation des revenus, impact sur le marché du travail, …).
4 Nous ne traiterons que les mesures ayant un effet direct soit sur les prestations sociales indexées soit sur ’l’impôt sur le revenu”. Une « année blanche » qui viserait à geler l’ensemble de la dépenses publiques en valeur (dépenses de santé, point d’indice de la fonction publique, dotations aux collectivités locales, …) aurait un impact bien plus important à la fois sur le revenu disponible ajusté des ménages mais également sur les inégalité (voir Insee, 2024)
Selon nos estimations, le gel de l’ensemble des prestations sociales indexées (y compris retraites et chômage) permettrait une économie budgétaire de l’ordre 5 milliards d’euros. Les pensions de retraites porteraient une grande part de l’effort budgétaire (3,7 milliards d’euros), suivi des prestations sociales hors allocations chômage (800 millions d’euros) et enfin des allocations chômage (400 millions d’euros environ)4.
Le gel total du barème de l’impôt sur le revenu rapporterait quant à lui, selon nos estimations, environ 1,2 milliard d’euros en 20265.
5 Sans « année blanche », nous anticipons que l’ensemble du barème de l’impôt sur le revenu (seuil des tranches, crédit d’impôt, …) devrait être revalorisé en janvier de 1,1%.
Au total, le « gel budgétaire » permettrait donc de dégager, selon nos estimations et sous les hypothèses décrites, environ 6 milliards d’euros de moindres dépenses ou de hausse d’impôt.
Sans surprise, les ménages comptant un ou plusieurs retraités devraient être les plus affectés par une « année blanche »6. En 2026, les près de 10 millions de ménages dont la personne de référence est retraitée verraient leur revenu disponible réduit de 280 euros par unité de consommation en moyenne (350 euros par ménage) soit environ 1% de leur niveau de vie (Figure 1).
6 Il est à noter que les contribuables retraités subiraient de façon plus modérée le gel de l’impôt sur le revenu, du fait de la stagnation de leur revenu. Alors que les ménages dont la personne de référence est retraitée représente 16% des recettes de l’impôt sur le revenu (pour un tiers de la population des ménages), ils ne contribueraient qu’à hauteur de 6% à la hausse d’imposition induite par le gel du barème.
Les 15 millions de ménages dont la personne de référence est salariée verraient quant à eux leur revenu disponible amputé de l’ordre de 70 euros (-0,2%) et les indépendants (2,4 millions de ménages en 2023) de l’ordre de 100 euros (-0,2%) par unité de consommation à la fois du fait du gel du barème de l’impôt sur le revenu et de la non revalorisation des prestations sociales.
Enfin, nous estimons que le revenu disponible des 1,3 million de ménages dont la personne de référence est au chômage se réduirait d’environ 120 euros par unité de consommation en 2026 par rapport à une situation « hors gel » (-0,6%).
Au-delà de leur statut d’activité, la position des ménages dans la distribution des niveaux de vie joue également un rôle clé pour comprendre l’impact qu’une éventuelle « année blanche » pourrait avoir sur leur revenu disponible.
En euros par ménage, plus le niveau de vie augmente, plus l’impact d’une potentielle « année blanche » serait important (Figure 2). Cela s’explique logiquement par des niveaux de pensions plus élevés (et donc un impact du gel potentiel des pensions plus fort) ainsi que par la forte concentration de l’impôt sur le revenu dans le haut de la distribution des niveaux de vie. Au final, les 5% de ménages les plus aisés verraient leur revenu disponible amputé de l’ordre de 260 euros par unité de consommation (390 euros par ménage) contre moins de 150 euros en moyenne pour les ménages du milieu de la distribution (principalement du fait des pensions de retraite) et aux alentours de 100 euros pour les ménages du bas de la distribution, ménages malgré tout très sensibles au gel des autres prestations sociales (prestations familiales, allocations logement, minima sociaux, …).
Il est à noter que rapportés au revenu des ménages, les effets redistributifs apparaissent très différents. Ainsi, en pourcentage du niveau de vie, ce sont bien les ménages les plus modestes qui verraient leur revenu le plus réduit par une « année blanche ». Les 5% de ménages les plus modestes perdraient ainsi près de 1% de revenu disponible comparativement à une situation de revalorisation usuelle. Pour les ménages du centre de la distribution, l’impact serait de l’ordre de 0,5% et pour les 5% de ménages les plus aisés inférieur à 0,3%.